Autopsy: Californian artist Jean LOWE

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Installation – Collage – Painting
Born in Eureka, California in 1960
Lives and works in San Diego, California

Autopsy of an art work: “Clearance (Baby Dolls)” by Jean LOWE

Technique : Enamel on panel
Format : 95 ½ x 75″ –
2009
courtesy Rosamund Felsen Gallery

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Following text is in French. Translation: select your language on the right

Je me rends à l’exposition d’une artiste américaine que je ne connais pas, Jean Lowe, galerie Rosamund Felsen à Santa Monica. Des toiles colorées aux sujets étranges sont accrochées sur les murs. Une toile se détache particulièrement des autres et retient toute mon attention.

C’est avec la curiosité d’un enquêteur que je commence à la regarder. Le temps est suspendu, mon enquête commence.

Une toute première impression est la domination de la toile sur vous. Le format de la toile est immense, plus de deux mètres quarante de haut, plus grande que son spectateur. Les couleurs sont fortes dans les tons de bleus et roses d’une peinture à émail qui est de plus en plus utilisée par les artistes contemporains pour son aspect très opaque et les contrastes intenses qu’elle crée. Cette toile s’impose au spectateur,  le domine et l’intimide presque. Une relation « dominé-dominant » se s’installe et votre instinct vous pousse à rebrousser chemin.

Vous tournez les talons, mais, la nature humaine est ainsi faite que la curiosité est en fait attisée par l’étrangeté du sujet, des couleurs.

Fasciné et décidé de comprendre pourquoi cette toile-ci produit un tel effet, vous reculez pour mieux observer cette toile de loin,  dans son ensemble et pour reprendre le contrôle.

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Que voit-on exactement ? au premier plan les étagères d’un supermarché américain ordinaire semblable à celui où les américains se rendent régulièrement comme 99ct par exemple, sont pleines à craquer de produits en solde et attendent le chaland. Si les étagères sont ordinaires,  le décor qui les environne est totalement improbable. Il est irréel, tel qu’il pourrait apparaitre dans l’un de vos rêves où les lieux, les genres et la temporalité se mêlent et se confondent.

Le décor de ce supermarché est aisément reconnaissable pour des européens car il est baroque. En levant les yeux on découvre un plafond peint aux couleurs et sujets caractéristiques du baroque, cerné de moulures ornementales assez chargées, elles aussi caractéristiques du baroque.

Bamberg_ResdienzAprès recherches, il s’agirait du décor de l’une des salles de la Nouvelle Résidence du Prince-Evêque Lothar Franz von Schönborn, à Bamburg, en Bavière, réalisé vers 1613. Le plafond peint serait probablement l’œuvre du peintre Autrichien Melchior Steidl, mais nul n’en est certain et finalement peu importe. L’esprit est là, nous sommes en plein baroque Américano/Bavarois.

Récapitulons, le peintre nous propose une toile imposante, aux couleurs fortes, avec pour sujet un supermarché lambda américain qui campe au beau milieu d’un  décor baroque du 17ème siècle Bavarois. Ces éléments sont loin d’éclairer la compréhension de la toile.

Il faut  poursuivre l’enquête et explorer ailleurs pour mieux comprendre.

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La moitié inférieure de la toile propose un sujet frontal qui nous fait comprendre qu’il s’agit du sujet principal : il s’agit d’une tête de gondole dans laquelle sont disposées quatre boîtes roses avec un couvercle en cellophane à acheter en solde pour $19.98. Ces boites contiennent chacune une tête de poupée d’un genre répandu que l’on offre aux petites filles pour jouer à la coiffeuse. Celles-ci sont blondes aux yeux bleus, le menton posée sur les mains, attendant le prochain acheteur. Rapidement on découvre que chaque tête affiche une expression différente. L’une a les paupières closes, l’autre a l’air exaspéré, la troisième est en colère et la quatrième semble poser une question.

 

 

Ces poupées sous cellophane à $19.98 et à l’expression tellement humaine ne font rien d’autre que d’exprimer un avis sur leur « condition de poupée » que le visiteur traduit inévitablement en « condition féminine ».  Nous comprenons mieux maintenant le positionnement de ces poupées sur la toile. Le visiteur ne peut les éviter, il est obligé d’embrasser la cause de ces femmes/objets.

Pour revenir à l’aspect formel et pour compléter notre enquête, il faut souligner que la frontalité est l’un des éléments constitutifs de l’art Baroque. Les sujets étaient traditionnellement représentés de face, exacerbant sans pudeur leurs sentiments. Il s’agit bien de cela ici, les têtes de ces poupées enfermées dans une boite en plastique transparente expriment chacune un sentiment différent.

On voit ici comment le peintre s’amuse à utiliser la forme baroque du 17ème bavarois pour servir une cause féminine contemporaine. Ce qui nous apparaissait incohérent, devient après analyse tout à fait cohérent.

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Poursuivons notre cheminement.

Après ce sujet frontal, la rétine est invitée à se diriger naturellement vers la droite, dans une des allées de ce supermarché improbable. Assez rapidement l’œil s’arrête, bloqué par des étagères qui menacent de s’écrouler. Leur structure penche anormalement indiquant une fragilité évidente de l’ensemble. Est-ce dû au poids des bouteilles qu’elles contiennent? Non les étagères sont conçues pour cela. Le peintre là encore nous pose une énigme.

Pour essayer de comprendre, le regard examine les autres étagères, à l’extrême gauche de la toile. Elles sont droites, tout à fait normales.

Faisons un nouveau point et reprenons les indices pour comprendre l’intention de l’artiste :
– Un espace/temps brouillé, les supermarchés américains de grande consommation de notre 21ème siècle sont installés dans un décor début 17ème d’un château de Bavière.
– Des têtes de poupées/femmes aux regards pathétiques
– Des tonalités de couleurs et une composition caractéristiques du Baroque…..

Reprenons le cours de l’enquête,
Que se passe-t-il donc avec ces étagères qui menacent de tomber ? la question est en suspend mais en regardant plus haut l’œil découvre élément qui lui aussi est anormalement penché. Il s’agit du lustre en cristal. Sa base est bien accrochée au centre du plafond, comme il se doit, mais il accuse une forte oblique qui indique un mouvement de balancier important qui pourrait s’avérer dangereux.

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En regardant de plus près le plafond, l’on découvre que Jean Lowe a conservé des éléments originaux du plafond comme les tournoiements de la composition, les couleurs, les protagonistes. La Vierge Marie, drapée du bleu qui la codifiait, semble regarder en bas le spectacle affligeant de ces jeunes filles enfermées dans leur boite. Certains éléments comme les larges drapés de la robe ou les nuages menaçants gris foncés amplifient cette colère Divine.

Nous y sommes, l’explication est là.

La lecture de cette toile doit se faire du bas vers le haut, de la terre au ciel. Les poupées/femmes, échantillons de la réalité, sont directement menacées par la colère divine avec ce lustre qui se balance comme une épée de Damoclès. Avec en point la Vierge Marie, au sommet de la toile et qui a l’air de penser qu’elle n’est pas satisfaite de ce qui se passe en bas du côté des vivants, et le fait savoir.

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L’artiste ne nous offre pas seulement une admirable composition verticale qui génère des considérations intellectuelles abstraites.

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Elle nous propose une lecture complémentaire grâce à la profondeur intéressante d’une perspective qui amène l’œil au fond, au tiers de la toile qui est le niveau terrestre, non le niveau des Dieux. La scène proposée est tragique. Un homme s’apprête à abattre violemment son épée sur quelque chose que le spectateur ne voit pas. Est-ce pour rappeler qu’ici-bas, une femme battue meurt tous les deux jours de ses coups ?

Nous avons sans plus aucun doute la confirmation des intentions féministes de l’artiste. Après cette analyse, l’habile composition de Jean Lowe prend forme. Elle a repris les possibilités formelles du Baroque qui permettent d’exprimer les tourments, les sentiments, les craintes sans pudeur.

Béatrice Chassepot
Los Angeles le 6 juin 2009/ texte retravaillé le 17 février 2013

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