Emerging Selection 2011: French Artist Patrice LEFEVRE

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Installations, volumes, dessins & aquarelles, vidéos
Né à la Seyne-sur-mer
Vit et travaille à à Rochechouart, France

Son site : https://www.patricelefevre.com/

Interview de Patrice Lefevre

 “Univers Artistique” jamais ces mots n’ont eu un tel écho avvec Patrice Lefevre ! Avec cet artiste vous pénétrez dans un monde, un ailleurs qui vous intrigue, vous bluffe et vous rend hésitant, tout à la fois. La pensée est impénétrable croit-on mais cet esthétisme stylistique aiguise les sens et donne envie de s’y faufiler pour comprendre et nous embarquer ailleurs nous aussi.
Brillant ! BCh

 

Cartel de Phébus Installation interactive, 2008
Cartel de Phébus
Installation interactive,
2008 courtesy the artist

Patrice LEFEVRE INTERVIEW (fr, instant translation option sidebar right)

 

Beatrice Chassepot : Installations, volumes, dessins & aquarelles, vidéos, vous êtes sur tous les fronts. Que souhaitez-vous nous raconter ?

Patrice Lefevre : Ma pratique est volontairement protéiforme. A travers cette richesse, je mets l’accent sur une polysémie des choses. Il est important pour moi de privilégier une forme qui ne s’arrête pas à un médium ou un média.
lave vitre, sérigraphie triptyque taille variable, 2001
lave vitre,
sérigraphie triptyque taille variable, 2001

A l’origine de ma démarche, “Lave-vitre” (2001) est le manifeste évident de mon intérêt pour le langage et de son possible retournement.

Un ensemble de 3 vitres sérigraphiées dont le sujet est une image générique, universel qui s’efface par sa propre action.
Constat tragique et comique, proche de la chronophotographie, ce triptyque met l’accent sur une faille et sa possible interprétation plastique.
En construisant un espace tautologique, j’ai élaboré une mise à l’épreuve du langage. Un état latent, figé, qui s’invente sous le fait de la répétition, de l’humour et du non-sens.

Mon travail tend vers une irrésistible vacuité.

Dans un ensemble de petites saynètes vidéos, à travers les conventions cinématographiques du début, mon corps a contribué un moment à la mise en scène d’une démonstration absurde et mes actions tournaient inlassablement en boucle.
La vidéo “Palier au même” (2003), évoque ce qui s’exécute comme une course frénétique vers un ailleurs toujours identique. La boucle que l’on croit réel est vécu physiquement et je descend l’escalier autant de fois que l’on me voit sur l’écran… On est là au coeur de ce qui m’intéresse : à la limite du visible, dans une exploration , un engagement économe, immédiat dont le résultat est incertain, et qui s’exécute en équilibre.
A l’instar d’un funambule, entre une chorégraphie stylisée, une action footballistique et une chute, “corrélation illusoire3” prête son titre à une résonance psychologique qui met en défaut ce pas vers ce que l’on voit, ce qui en est associé, et ce qui abolit ainsi toutes croyances et nous laisse dans une forme juste en devenir. Une pause dessinée et confrontée à la lenteur du stylo-bille.

Ce n’est peut-être pas un hasard si « image » est l’anagramme de « magie » (Georges Méliès)

Il y a peut-être là, dans cette révélation, dans cette forme d’incidence prévisible, un moment qui tient de l’émerveillement, qui éclaire le réel derrière l’illusion d’une anecdote, sans fioritures, ni ornement… juste l’essentiel. Des petits riens pensés comme résistants à l’effacement et au vide.

La théorie du marteau rouge chez le poisson clone, aquarelle papier A4, sac plastique, 2010
La théorie du marteau rouge chez le poisson clone,
aquarelle papier A4, sac plastique, 2010

Tout est là, contenu dans une poche plastique transparente pré citant “la théorie du marteau rouge chez le poisson clone” (2010)  comme une duperie, l’accent d’une vérité observée apparaissant littéralement sous-vide… ou encore envahissant l’espace, dans un effondrement contrôlé d’une cinquantaine de peaux de bananes réalisées à l’aquarelle, incisées sur du papier machine et étalées au sol.

L’ironie entendu de “la conception cyndinique d’un drame sans gravité” (2010), fait écho à l’arroseur arrosé et au ressort humoristique du cinéma burlesque de Buster Keaton à Jacques Tati…
Ici encore rien n’est arrêté, tout est dans un instant de l’objet qui se révèle sans perte de matière entre un volume et un dessin, utilisant comme beaucoup de mes pièces, le langage comme l’instrument du dévoilement.

BCh : Je dois faire un parallèle évident avec l’écrivain George Pérec  à qui vous empruntez le titre pour une de vos pièces de « Tentative d’épuisement relatif à « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » Vous avez le même côté expérimental et obsessionnel que lui ?

Patrice Lefevre : Il y a toujours eu chez moi, la quête invisible d’un absolu, une forme indéfinissable dans la création d’un vocabulaire qui m’est propre mais qui se joue de codes et signes culturels. L’emprunt à l’oeuvre de Perec, n’est pas anecdotique et participe véritablement à l’intérêt que j’ai toujours eut pour le langage et pour sa plasticité.
Des recherches entreprises par Haussmann sur la poésie phonétique à Magritte en passant par les conceptuels ou encore fluxus incarné par Robert Filliou, le langage est sujet à être en défaut et c’est ce qui le rend intéressant et profondément humain.
En détournant les mots, en puisant une essence même de leur matérialité, de leur dissonance, assonance et concordance, je me satisfais parfois simplement de leur musicalité et ma réflexion à l’oeuvre est “instrumentalisée” par cette poésie. J’ai vraiment vécu “la disparition” comme une oeuvre à caractère totale. Elle symbolise en elle-même un profond questionnement sur la mort et en même temps sur la survivance d’une langue par son emploi métaphorique. Comme Perec, j’attache une importance énorme au caractère performatif de ma recherche et de mon travail et comme lui aussi je peux parfois me lancer dans une forme d’acharnement quasiment scientifique, méthodique et …absurde.
Aussi dans “Persistance” (2009) le dessin se cherche un prétexte pour figurer entre un laboratoire et une installation artistique, dans un mode opératoire vidéo soumit à la zététique.

 

BCh : Est-ce le sujet qui décide du média ? Ou bien est-ce le media qui vous attire d’abord puis vous entraine dans un thème ?

Patrice Lefevre : Il y un véritable rapport de fond (et de forme) entre le support média et ce que j’y représente. Pour moi le support doit parler de son objet et l’objet doit parler de son support et c’est en quelque sorte un jeu aller-retour dans lequel le sujet peut aussi bien être déclencheur que l’objet déclenché

BCh : Prenons « Controverse raisonnée d’une étude de dessin botanique, dessins papier machine A4, aquarelle, 2009 » (ci-contre) Ce sont des machines-outils pour le jardinage dont le dessin et la couleur sont très détaillés si ce n’est que chaque appareil a un petit volume et flotte dans l’espace de la feuille, ce qui rend la série inénarrable et absurde. Racontez nous le processus pour en arriver là

Patrice Lefevre : Ces machines-outils sont à l’image des bananes ou des poissons, en fait un  choix personnel qui concoure esthétiquement à une extraction du réel … des formes anecdotiques, des formes inconscientes et collectives, de certaines images référantes de notre culture populaire.

Par la mise en espace de ces copies fragiles et fragmentaires, je tente de les réactiver en me positionnant comme “générateur d’images mentales”, c’est à dire comme une matrice à mémoire qui véhicule ce répertoire sensible. Les objets, choses que je convoquent se destinent souvent à exister en apesanteur, littéralement “en suspend”.

Inénarrables, c’est vrai …  Pour cette série de 2009, je voulais créer un inventaire d’outils de jardinage à partir d’un catalogue. Ce qui m’a poussé à faire cette série c’est la ressemblance frappante des outils aux sujets végétaux de certaines études dessinées de plantes botaniques. A différent niveaux de lecture dans cette série, on ne sait plus exactement ce qui est dessiné : une plante, une fleur, une brindille, une composition abstraite, un outils… J’aime alors entretenir cette idée de confusion et même de leurre où le titre seul devient le terrain expérimental et quasi scientifique d’une expérience de la re “présentation”.

             
L’Atelier clandestin                                                                             Banana split ou la conception Cindynique d’un
50 aquarelles de bananes sur papier machine A4, 2010                      drame sans gravité.

900 chemisettes en papier machine A4, 4 palettes en cartons,
48 boîtes cartons.

résidence L’ECONOMIE DE L’ART / L’ART DE L’ECONOMIE

BCh : Autre aspect de votre travail, vous aimez multiplier les « pains », je veux dire que vous créer par séries des oeuvres à l’identique. Je pense à L’Atelier clandestin, A l’emporte-pièce, Banana split ou la conception Cindynique d’un drame sans gravité, Pouvez-vous nous raconter

Patrice Lefevre :

La fin, la fin de toute possibilité, qui nous apprend que nous venions de faire l’image.                                                 G. DELEUZE –

L’épuisé Il n’est pas un hasard si j’use depuis quelques années pour travailler de la feuille papier “machine” standardisée dans la plupart de mes travaux de pliages, ou aquarelles et dessinés.  Par sa légèreté, sa fragilité, la standardisation de sa production, sa taille, son épaisseur, sa souplesse… Le papier dit “machine” porte le nom de sa disposition à être produit en série par une “machine”.

Je me suis alors conforté dans cette idée et j’ai tenté dans un premier temps de m’assimiler à un photocopieur dans la production d’images au stylo bille noir … J’ai utilisé tout naturellement le papier A4, le papier dit “machine” en recherchant à annuler l’idée de repentir et m’interdire l’effacement pour garder l’erreur, la rature.

Ce qui reste en quelque sorte humain après la machine… C’était une manière pour moi aussi de me confronter à mes propres limites.

Depuis, j’essaie d’épuiser le papier machine sous sa forme traditionnelle, le pousser dans ces retranchements pour l’amener à devenir l’objet d’une forme de révélation, un peu comme un procédé photographique où la forme apparaît du papier. En l’étirant, le découpant, le papier change de volume et se donne une autre histoire. La reproductibilité est un acte qui renvoie à la machine et à l’économie mais aussi selon  Walter Benjamin à la désacralisation de l’objet artistique. Je suis une machine à reproduire… un photo “copieur”….

En multipliant une image, elle installe un nouveau rapport avec son modèle, ne serait ce que dans l’espace qui la contient. Par le nombre, la profusion, une série se veut en mouvement, sans avoir de fin programmée. En orchestrant cette multitude, je m’installe volontairement dans une forme d’ambigüité, entre une copie et un original, entre une oeuvre “faite main” et reproduite mécaniquement.

L’image est, à travers un jeu de signes, dans mon travail, une vanité contemporaine et une signalétique persistante… j’aime alors l’idée qu’il existe une synergie entendue entre elle et celui qui la reçoit et en fait l’expérience.

Propos recueillis par Beatrice Chassepot le 15 décembre 2011

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