Biennale de Lyon, 2005

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Thierry Raspail, Directeur Artistique
Nicolas Bourriaud et Jerôme Sans, Commissaires d’Exposition
https://2005.labiennaledelyon.com/fran/movie.htmLieux:
– la Sucrière
– le Musée d’Art Contemporain
– l’Institut d’Art Contemporain

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Agnès Thurnauer

“Biennale de Lyon 2005 : expérience de la durée”


et pour nous, trois mois plus tard qu’en reste-t-il ?

 

Octobre à décembre 2005 : Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans commissaires de la Biennale -ce sont les admirables ex-codirecteurs du Palais de Tokyo- ont souhaité traiter de la notion de durée en Art : durée pour penser, durée pour créer, durée pour regarder une œuvre d’art….thème passionnant, enfin l’on parlait du temps…

Début Avril 2006, soit trois mois plus tard :
L’événement est passé, les critiques font plein feux sur d’autres foires d’art contemporain, d’autres expos. Jouons le jeu jusqu’au bout et rajoutons à l’expérience Lyonnaise notre expérience à nous de la durée : que reste-t-il de cette manifestation dans ma mémoire ? c’est le temps du souvenir :

Le souvenir qui domine les autres est physique, celui de mon corps et ma raison immergés dans un nuage jaune d’or. Il s’agissait de la proposition de l’anglaise Ann Veronica Janssens : le visiteur est mis en condition, prévenu d’un effet d’étouffement parfois ressenti puis invité à pénétrer nous dit-on dans « une pièce ». Le spectateur/acteur pénètre car rassuré par le mot « pièce » qui évoque une entrée-une sortie, un espace que l’on imagine simple et cubique, somme toute une aventure sous contrôle…

Je pénètre éblouie d’abord par tout ce jaune puis je fais trois pas. Là, tous mes repères, sensoriels, olfactifs volent en éclat. Je tends ma main je ne la vois pas, le brouillard est trop dense, je suis figée, pétrifiée, je ne suis plus qu’un nuage parmi les autres, je ne suis plus moi, j’entends des voix mais je ne sais pas d’où elles viennent.. j’ai perdu le contrôle… je me ressaisis, je me rappelle « il s’agit d’une pièce » nous a-t-on dit.. j’avance donc tout droit pour sortir, rien, pas de sortie seulement un mur, la panique n’est pas loin.. il faut puiser très loin dans une sorte de survie animale enfouie en soi pour poursuivre et enfin trouver la sortie. La pièce n’était pas carrée mais en L, la sortie n’était donc pas tout à fait en face ! j’étais furieuse d’avoir été physiquement autant bousculée, vexée d’avoir perdue le contrôle à ce point puis quelques minutes plus tard j’ai souhaité recommencer, allez comprendre..

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Ann Veronica Janssens

 

Sensation incroyable qui collait parfaitement au thème de l’expérience de la durée puisque, impliquée dans l’œuvre, j’en devenais le matériau : de fait, il n’y avait plus ce temps de la réflexion que l’on a habituellement lorsqu’on est spectateur…seules les interrogations sur le sens esthétique d’une telle démarche donnent du grain à moudre aux détracteurs qui ne voient pas de différence avec les trains fantômes de notre enfance..

Autre souvenir fort qui reste, ces pigeons qui dévorent nos enfants.. c’est le « work in progress » de Kadder Attia. Une reconstitution de cour d’école des années 70 encerclée de grillage, à l’intérieur tous les éléments, objets, jeux et puis les enfants, des mannequins de mousse et de graines, becquetés consciencieusement et radicalement par de vrais pigeons. La force de cette œuvre, le nombre de sens que l’on pouvait y voir, à la fois personnels et universels en font, pour moi, quelque chose d’indélébile.

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Kadder Attia (détail de l’installation)

 

Immédiatement après ces deux souvenirs forts, reste ce sentiment de gourmandise sans cesse aiguisée : une salle terminée je savais que j’irai dans une autre et puis une autre et puis un autre lieu et encore un autre… jusqu’à satiété. C’est très similaire à une dégustation de vins, à condition de lui accorder des pauses, l’œil est affuté, le sens critique se précise. Plusieurs lieux d’exposition donc, mais je retiens la Sucrière, le plus dense et le plus « marrant », Le Musé d’Art Contemporain de Lyon (MOCA) avec son Directeur, Thierry Raspail, admirable érudit passionné.

Continuant dans l’ordre décroissant, j’ai en tête cette grande toile de l’artiste française, Agnès Thurnauer, remplie de noms de peintres, éminemment importants pour l’Histoire de l’Art, écrits au pinceau comme une écolière. Aucun intérêt peut-on penser.. mais à mieux y regarder, des prénoms féminins sont accolés devant tous ces noms prestigieux . L’effet est saisissant, tous les sens déferlent : l’on s’imagine qu’il s’agit du prénom des mères de ces artistes, bel hommage rendu, ou bien qu’il peut s’agir d’une démonstration du vide sidéral occupé par les femmes en Histoire de l’Art. Cette nouvelle proposition oblige à penser l’Histoire de l’Art en masculin/féminin.

Autre œuvre marquante qui trônait, somptueuse, au MOCA, d’immenses formes géométriques en suspension de Brian Enno. Je me souviens avoir été impressionnée par ces immenses volumes mouvants dans le noir : la rigueur en mouvement. Mais finalement, aucune réflexion supplémentaire n’est venue alimenter cette forte sensation.

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brian Eno

 

La mémoire s’arrête là puisque je suis maintenant obligée de reprendre mes notes pour me rappeler.

 

J’avais noté :

– à la Sucrière : un travail de Franz Ackermann, je ne m’en souviens même plus ; les phares d’Olafur Eliasson ou quand l’objet utile devient Art – à la réflexion sujet trop ressassé bien qu’intéressant en soi pour l’expo ; la scène de crime de Virginie Barré installation mystérieuse, il ne m’en reste du rouge dans la rétine ; les variations photos et dessinées de Tom Marioni qui explore toutes les symboliques du bouchon de Champagne, quelques attitudes ressurgissent à mon esprit et je ris en y pensant…j’avais mis trois étoiles (oui je mets des notes..) à Fabienne Verschere qui nous proposait un conte en trois dimensions. En fouillant un peu dans ma mémoire je me souviens de la pièce du parcours pas saynètes, mais l’émotion n’y est plus. J’avais noté Saâdane Afif qui présentait une installation de guitares et leurs harmonies universelles, je ne garde en mémoire qu’un concept passionnant et abouti mais une grande pauvreté émotionnelle et esthétique.

– au Musée d’Art Contemporain de Villeurbanne : l’installation de Kendell Geers mais il n’en reste que la violence.

Bizarrement j’avais noté une toile avec des inscriptions pornographiques de Agnès Thurnauer alors que je vous ai longuement évoqué plus haut, une autre toile qui n’est même pas dans mes notes et qui a infiniment plus cheminé dans mon esprit !

La voilà l’expérience de la durée.. belle leçon : l’émotion, le sentiment du beau ressentis sur l’instant ne sont pas les traces qui restent forcément dans l’esprit. Les œuvres qui marquent sont celles qui bousculent, celles qui déclenchent une réflexion souterraine qui s’insinue dans notre cerveau malgré nous, pour laisser, avec le temps, des traces qui nous nourrissent et nous font grandir.

On ne peut que saluer l’initiative des commissaires d’exposition Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. Prenons le temps de les remercier pour l’intelligence de leur travail au Palais de Tokyo.
B
éatrice chassepot, Paris, novembre 2005

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